Un peu de tranquillité

Roxelane traversa la cour d’un pas soutenu, ses cheveux flamboyants flottant autour d’elle comme un halo. Elle revenait à peine des bureaux du Daily Telegraph, dans lesquels elle avait passé toute la matinée pour faire acte de présence. Son job de journaliste, bien que secondaire, la ravissait autant qu’il la dégoûtait. Elle adorait être au cœur de l’information, cela allait sans dire, mais certains pigistes se trouvaient être davantage des vautours que de bon reporters. Quitte à balayer le respect de l’autre le plus élémentaire, ces charognards étaient prêts à tout pour décrocher LE scoop qui saurait leur rapporter gros. Roxelane haïssait cette mentalité, qu’elle qualifiait de cupide et amorale, soit précisément le contraire de ce qui rend l’être humain beau.

Le soleil était à son zénith, et Roxelane fut obligée de se parer de son éclat éblouissant en plaçant une main devant ses yeux. À plusieurs reprises, elle lança un salut dynamique à ceux qui rencontraient son chemin. Peu furent ceux qui le lui rendirent. Roxelane ne s’en formalisa pas. Elle était habituée au peu de considération qu’on lui portait, ce n’était, à en juger par ses dires, plus un problème depuis longtemps. Roxelane crispa néanmoins ses doigts sur la lanière de son sac.

Elle comptait rallier les jardins de la KU, lieu paisible et généralement silencieux dans lequel elle aimait pratiquer sa séance journalière de yoga. Roxelane était inflexible : qu’il neige ou qu’il vente,  comme d’autres s’adonnent compulsivement au jogging, elle s’accordait chaque jour au minimum une bonne heure pour travailler simultanément souplesse et respiration. C’était tout ce qui lui restait des enseignements de Johan, et cela revêtait pour elle une dimension quasi symbolique, tel que pourrait l’être un rituel. Beaucoup à la KRT prenaient de haut cette activité presque frénétique, et pourtant, Roxelane savait mieux que quiconque que la concentration et l'harmonie des mouvements sont autant d'éléments primordiaux pour tout bon combattant.

Ce fut la réverbération du soleil sur la couverture du livre de Samuel qui attira son attention. La reliure dorée scintillait, et c’est ce qui la fit ralentir. Curieuse, elle plissa les yeux pour décrypter les lettres alambiquées du titre. La jeune femme fut surprise du choix littéraire de Samuel : non pas qu’elle portât un jugement là-dessus, au contraire, elle trouva plutôt touchant que Peter Pan fasse encore rêver même un agent, éminent descendant de Sir Galahad en personne. Roxelane sourit, pas loin d’être amusée.

- C’est une magnifique édition, lâcha-t-elle sans vraiment réfléchir.

L’instant d’après, elle songea qu’elle avait sûrement perturbé de ses mots la quiétude reposante du lecteur. Elle eut alors une mimique comique, qui fit pétiller ses yeux bleus beaucoup trop grands – qu’elle se plaisait d’ailleurs à comparer à deux Pac-Man javellisés.

Roxelane eut un sourire serein. De ceux qui ne compliquent rien, sans arrière-pensées, qui paraissent sincères, paisibles, et qui transpirent une malice mal dissimulée. Peut-être était-il aussi un peu enfantin. Comme si, malgré tout, Roxelane n’avait renoncé à rien, pas même à la beauté des Hommes. Le sourire de Roxelane était un monde en soi.

La jeune femme connaissait mal Samuel. Elle n’avait encore jamais eu la possibilité d’échanger avec lui, excepté, évidemment, les simples salutations amicales. Elle n’avait pas encore mené de mission à ses côtés, sans doute parce qu’elle n’exerçait pas depuis suffisamment longtemps en tant que Druid. Et puis ses partenaires de terrain ne variaient pas beaucoup, étant donné qu’Anastasia était son principal binôme – ce dont elle était loin de se plaindre.

Qu’à cela ne tienne, donc : aujourd’hui lui offrait l’occasion parfaite d’engager la conversation. Comme chacun, ou presque, elle aimait expérimenter les conversations de nouvelles personnes, ne serait-ce que pour se confronter à diverses opinions. Cela était-il une raison valable, néanmoins, pour jouer les incrustes ?  

- J’espère que je ne te dérange pas trop, Samuel, souffla Roxelane en plissant les yeux à son tour, mais pas à cause du soleil.

La rouquine balaya mentalement le vague sentiment d’être un parasite et se remit à sourire calmement. Elle reporta son attention sur le livre, fil rouge de la discussion naissante. Roxelane avait définitivement contracté le virus des amoureux des vieux ouvrages. Peut-être était-ce le grain du papier jauni, ou bien l’odeur légèrement rance qui s’échappait d’entre les pages lorsqu’on ouvrait un livre ancien. À force de fureter dans le grenier de la maison familiale, à Quimper, la Roxelane adolescente n’avait pu se vacciner contre cette heureuse maladie.

- Si tous tes bouquins sont pareils à celui-ci, ta collection doit être un véritable trésor… Et puis c’est un bon choix, ajouta-t-elle en désignant le titre d’un mouvement du menton.

Roxelane détourna la tête l’espace d’un instant. Son regard de vint se poser sur les quelques élèves de la KU qui trainaient dans la cour, sans qu’elle ne les vît vraiment. Il lui arrivait parfois de se déconnecter de la réalité pour se perdre dans ses pensées, mais jamais très longtemps, une fraction de seconde tout au plus. Elle ne s’autorisait pas à rester oisive, les yeux dans le vague.

- Tu es en perm’ ou tu prends juste une pause ?


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